Une semaine après la parution du nouvel arrêté interdisant les fleurs de cannabis à la vente, le Conseil constitutionnel a rejeté ce vendredi une question prioritaire de constitutionnalité déposée par les défenseurs d’un marché plus ouvert.
Cette décision est la première d’une longue série de joutes juridiques à venir. Ce vendredi matin, le Conseil constitutionnel a rejeté une demande d’associations de cannabiculteurs et autres défenseurs de la plante attaquant l’arrêté de 1990, et sa version révisée la semaine dernière, régissant la consommation de cannabis en France. Elles demandaient que l’instance reconnaisse le manque de définition autour de la notion de stupéfiants ainsi que l’absence de compétence du législateur à formuler ce texte.
«La notion de stupéfiants désigne des substances psychotropes qui se caractérisent par un risque de dépendance et des effets nocifs pour la santé. En incluant ces substances parmi les substances nocives pour la santé humaine, le législateur n’a pas adopté des dispositions imprécises», estime le Conseil constitutionnel à propos du premier aspect. Pas de problèmes de légalité non plus pour l’instance : «En renvoyant à l’autorité administrative le pouvoir de classer certaines substances dans cette catégorie, il [le législateur] n’a pas non plus conféré au pouvoir réglementaire la compétence pour fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi. Il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de procéder à ce classement en fonction de l’évolution de l’état des connaissances scientifiques et médicales.»
La décision du Conseil constitutionnel valide l’interdiction de la vente et la détention de fleurs de chanvre, en vigueur depuis le 1er janvier. Une première bataille perdue pour l’interprofession et pour les consommateurs de cannabidiol (CBD), cette molécule relaxante mais pas psychotrope du cannabis. Un marché qui explose depuis trois ans. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déposée le 14 décembre, était portée par les producteurs de cannabis et par l’Association française des producteurs de cannabinoïdes (AFPC) avec à leur tête Jouany Chatoux, agriculteur dans la Creuse et producteur de cannabis. Comme beaucoup de ses collègues et d’autres pionniers de l’or vert, il prône depuis le 31 décembre et la parution du nouvel arrêté une «ligne dure face à l’Etat. Un front commun des syndicats» pour appeler à ne pas respecter ce nouvel arrêté qu’ils jugent «illégal.»
«On se doutait bien qu’ils n’allaient pas tacler cinquante ans de législation, réagit Yann Bisiou, spécialiste du droit de la drogue pour l’association L630. Avec cette décision, le Conseil Constitutionnel nous donne les critères qui manquaient à l’arrêté. Il fait le travail à la place du législateur et sauve la loi.» Celui qui est maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul-Valéry de Montpellier relève en revanche que «involontairement, les juges lâchent une petite bombe. Dans leur décision, il n’est pas mentionné la question de la sécurité publique qui était au cœur de l’arrêté et l’argument principal invoqué par le gouvernement. Ce critère n’est pas retenu par le Conseil constitutionnel. Il reste deux QPC à venir sur le statut du cannabis et du CBD. Nous allons pouvoir argumenter sur la question de la dépendance et de la nocivité, montrer leur absence et pointer les incohérences de la réglementation française qui promeut l’alcool et tolère le tabac. Cela va leur poser des problèmes. Quel est le produit qui crée une dépendance et un risque de santé publique ? C’est plus le tabac que le CBD, plus l’alcool que le cannabis. Devant le juge administratif, les débats vont être vifs.»
600 agriculteurs ont planté pour la première fois du cannabis en 2021
Après ce camouflet de la part du Conseil Constitutionnel, la profession se met en ordre de bataille. Pour beaucoup d’entre eux, le passage à la nouvelle année s’est déroulé face à l’ordinateur, au téléphone, à consulter les textes de loi pour parachever la meilleure défense possible. Depuis une semaine, la parution du nouvel arrêté vient rebattre les cartes au sein d’une filière balbutiante. Exit la fleur, qui représente 50% à 70 % du chiffre d’affaires des 2 000 boutiques réparties sur le territoire national et ressource indispensable pour les 600 agriculteurs qui ont planté pour la première fois du chanvre CBD cette année. Le chiffre d’affaires du secteur est estimé par les syndicats à un milliard d’euros, les deux tiers tirés de la commercialisation des fleurs et feuilles brutes.
Pour François Piotrowski, technicien agronome et président de l’AFPC, la mise en vigueur de ce nouveau texte s’est fait «sans débat, sans cadrage» : «Il y a bien eu cette mission parlementaire et un rapport, mais le gouvernement n’en a rien à faire. Cet arrêté nous tombe sur le coin de la figure. Les pouvoirs publics n’écoutent qu’une poignée de personnes, qui ne sont pas représentatives du secteur (les grands chanvriers). Nous ne sommes pas invités à participer aux discussions. On n’est pas des dealers du coin de la rue, on représente un secteur professionnel.»
Cet arrêté a été notifié à la Commission européenne, révise un texte de 1990. Il fait suite à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de novembre 2020 après l’affaire Kanavape, un feuilleton judiciaire qui a ouvert la saga du CBD en France. Tout commence par l’invention d’un tandem d’entrepreneurs marseillais (désormais relaxés). En 2014, ils mettent au point une cigarette électronique à base de cannabidiol. Poursuivis et condamnés en France, la Cour de justice de l’Union européenne leur donne finalement raison en rejetant en novembre 2020 l’interdiction de ce «chanvre bien-être» en France. Elle rappelle l’innocuité de cette molécule tout en mettant en avant le principe de libre circulation des biens et des marchandises.
Le CBD ne peut donc être considéré comme un stupéfiant, ni un médicament, à la différence de son jumeau fortement dosé en THC, la molécule psychotrope du cannabis. L’instance européenne avait également mis en avant que la libre circulation des marchandises au sein de l’Union européenne devait s’appliquer au CBD. En juin 2021, c’est la Cour de cassation, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français qui emboîte le pas à l’Europe, jugeant que tout CBD légalement produit dans l’UE pouvait être vendu en France. De l’histoire ancienne.
SOURCE : "LIBERATION"